L’article 19 de la Déclaration des Droits des Paysans spécifie le droit des paysans de conserver, d’utiliser, d’échanger et de vendre des semences de ferme ou du matériel de multiplication.
Le droit aux semences tient une place centrale dans la Déclaration des droits des paysans. Avec le droit à la terre, il serait, si appliqué comme il se devrait, l’un des plus transformateurs ! La privatisation des semences au profit de grandes entreprises industrielles et commerciales a en effet dépossédé les paysans d’un travail intrinsèquement lié à leur raison d’être, et, en plus a engendré un appauvrissement de la diversité cultivée, donc des écosystèmes, et de notre alimentation.
Les semences
Premier maillon de l’activité agricole
Premier maillon de l’activité agricole, les semences représentent un enjeu crucial pour les producteurs. Les semences paysannes permettent de cultiver des variétés adaptées à chaque terroir, à même de satisfaire les besoins et habitudes alimentaires des populations et capables de résister aux évolutions et aléas climatiques. Elles offrent une diversité génétique à même de conserver, voire de restaurer la biodiversité locale. De tous temps, elles ont été reproduites par les agriculteurs et échangées entre eux. La qualité, l’accessibilité et la diversité de ces semences leur confèrent un rôle essentiel aux plans agricole et alimentaire, mais aussi économique et environnemental.
Alors que ces pratiques coutumières restent essentielles pour le respect du droit à l’alimentation, ainsi que la sécurité alimentaire mondiale et la biodiversité, la promotion de systèmes de semences commerciaux pose de sérieux défis au maintien des systèmes semenciers paysans. Au fil du temps, une énorme complexité s’est tissée autour des semences, piégeant les agriculteurs dans un dédale de décrets, lois, directives et conventions.
Alors que le recours aux semences paysannes, de variétés anciennes et de mélanges variétaux est un atout pour mieux s’adapter aux changements climatiques et aux conditions locales, la forte hétérogénéité de ces variétés (tailles, formes, besoins en intrants, et autres) les rend difficiles à cultiver à une échelle industrielle. C’est la raison pour laquelle les avancées génétiques vont au contraire dans le sens d’une uniformisation du vivant en vue de faciliter l’usage des nouveaux outils, comme cela a été le cas lors de la mécanisation agricole, en adaptant le vivant aux outils plutôt que les outils au vivant !
Cadre réglementaire
Pourquoi la logique d’uniformisation et de monopolisation des semences pose-t-elle problème ?
Pour les paysans, les semences ne sont pas exclusivement une ressource, mais font partie intégrante de leur culture et leurs pratiques de gestion des semences revêtent des expressions spirituelles et culturelles. Tant que les semences étaient produites et échangées localement, « les droits collectifs d’usage des semences communes (…) suffisaient pour réguler ces échanges » (Grain de Sel, Les Semences : intrant stratégique pour les agriculteurs, octobre 2010-mars 2011). Or, ceci n’a plus été possible lorsque les semences ont commencé à être produites en dehors de ces communautés. Ce système n’était plus adapté aux semences industrielles produites et commercialisées en grande quantité par des entreprises de plus en plus éloignées des fermes qui les utilisent.
Des législations ont alors été adoptées pour empêcher la vente de semences de mauvaise qualité, celles qui ne germent pas ou qui risquent de propager des maladies. Les lois relatives à la commercialisation constituent le type de réglementation le plus ancien et le plus répandu affectant les semences. Ces lois définissent des critères à remplir, afin que les semences puissent être commercialisées sur le marché. Elles sont souvent justifiées comme étant un moyen pour protéger les producteurs et les semenciers contre les contrefaçons abusives, ainsi qu’un moyen d’encourager l’innovation avec la création de nouvelles variétés. Ces instruments assurent au créateur de semences une exclusivité de commercialisation sur sa semence et/ou un droit de percevoir des « royalties » dans le cas ou d’autres personnes commercialisent ou se servent de ses semences. Ces réglementations ont été pensées pour le développement d’une filière industrielle et ont contribué à mettre en place au fur et à mesure des législations qui finissent par empêcher les paysans d’utiliser leurs propres semences.
On peut ainsi déplorer un accaparement du vivant par l’industrie qui en est arrivé au point où des réglementations imposent qu’une semence ne soit commercialisée que si elle appartient à une variété inscrite dans un catalogue officiel. Or, pour y figurer, une variété doit remplir les critères dits « DHS » (distinction, homogénéité, stabilité) : elle doit être différente de celles déjà présentes dans le catalogue, les plantes d’une même variété doivent présenter une très forte similitude, et les caractéristiques de cette variété doivent être les mêmes d’une année sur l’autre. Les deux derniers critères excluent de ce fait les semences paysannes car elles peuvent présenter une certaine évolution génétique à chaque génération en fonction des sols, du climat et des sélections pratiquées par les paysans.
Si les variétés de semences commerciales ont pu améliorer les rendements à court terme, les variétés traditionnelles des paysans et les savoirs associés sont les plus à même de s’adapter à des environnements spécifiques et tout particulièrement au changement climatique. Par ailleurs, les meilleures performances enregistrées par les semences commerciales dépendent de l’utilisation d’intrants coûteux (engrais, pesticides, herbicides, fongicides) dont le coût s’ajoute à celui des semences qu’il faut racheter chaque année et dont le coût environnemental est rarement pris en compte. L’introduction et la diffusion des semences industrielles augmentent ainsi la dépendance des petits producteurs vis-à-vis de l’industrie et rend leur endettement plus probable.
Quant à l’uniformisation des semences, elle contribue à appauvrir la biodiversité : selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 75% de la biodiversité cultivée a été perdue entre 1900 et 2000 et deux tiers de la production agricole proviennent aujourd’hui de seulement 9 espèces végétales différentes. L’appauvrissement de la diversité cultivée mène à un appauvrissement des écosystèmes de notre alimentation, rendant extrêmement vulnérable l’approvisionnement alimentaire mondial. Il s’agit donc également d’un enjeu environnemental, nutritionnel et sanitaire. En effet, la perte de la biodiversité et la standardisation des semences sont non seulement nuisibles pour l’environnement, mais également pour la santé en raison de l’appauvrissement en apports nutritifs des aliments issus de l’agriculture industrielle. De ce fait, c’est notre droit à une alimentation saine et de qualité qui se trouve mis à mal.
« Celui qui détient les semences détient la vie »
Mais qui détient les semences ?
Dans le commerce, les jardiniers amateurs se voient souvent proposer un énorme assortiment de semences de différents fabricants. Mais cette diversité est trompeuse : nombre de ces sélections, tout comme les semences agricoles, sont en fait la propriété de quelques grandes entreprises du secteur de l’agro-industrie. En 2018, les quatre plus grandes entreprises de l’agro-industrie du monde détenaient une part de marché des semences de près de 70 pour cent !
Mais comment une série d’orientations scientifiques, politiques, juridiques ont-elles pu conduire à la perte de biodiversité dans les champs ? Au nom de quoi, au profit de qui ?
De manière schématique, l’Union Européenne a surtout mobilisé deux outils juridiques : d’un côté un système de directives compatibles avec la législation internationale de l’Union pour la protection des obtentions végétales (UPOV) dont l’une régit le Catalogue européen des semences et les autres la commercialisation du matériel reproducteur de diverses catégories de plantes. De l’autre côté on trouve un système de législation sur les brevets.
Alors que le marché se mondialise et que la concentration industrielle consolide le monopole de l’industrie alimentaire entre les mains d’un petit nombre de multinationales, ces réglementations des pays industrialisés se répandent également de plus en plus vers les pays du Sud, par exemple à travers les accords de commerce et d’investissement, qui servent souvent à imposer des lois sur les semences là où elles n’existaient pas auparavant, ou à rendre les lois existantes plus favorables aux sociétés transnationales.
La communauté des pays donateurs est également directement complice de l’expansion de l’industrie semencière en Afrique, via les plus grandes organisations philanthro-capitalistes ou encore les bailleurs de fonds nationaux européens. Nombre de ces gouvernements sont en effet activement impliqués dans la Nouvelle alliance du G8 pour la sécurité alimentaire et la nutrition (NASAN) et soutiennent financièrement de nombreux fonds qui investissent dans les nouvelles entreprises semencières africaines. Cette alliance, lancée en 2012, développe des cadres de coopération qui prévoient des révisions des politiques nationales en matière de semences et autres intrants, afin d’encourager une plus grande participation du secteur privé à la production, à la commercialisation et au commerce des semences et d’autres intrants. Ces mesures limitent généralement le droit des paysans de multiplier, d’utiliser, d’échanger et de vendre leurs propres semences. Ces engagements nationaux sont renforcés par le partenariat transversal « Scaling Seeds and Other Technologies », mis en œuvre par l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), visant à augmenter « l’adoption de variétés de semences améliorées, d’engrais et d’autres technologies ». Ce faisant, l’AGRA met l’accent sur l’établissement de conditions favorables à l’investissement privé dans l’agriculture, notamment à travers les réformes juridiques, politiques et institutionnelles.
Toutes ces mesures menacent directement les pratiques paysannes traditionnelles et la liberté des paysans de gérer leurs propres semences, ce qui a pour conséquence de limiter davantage l’utilisation des variétés de semences paysannes et traditionnelles. Cette transformation des systèmes semenciers africains, traditionnellement gérés par les paysans, vers des systèmes dominés par le secteur privé, aura un impact sur les moyens de subsistance de dizaines de millions de personnes sur le continent, car les impératifs commerciaux ne répondent pas aux conditions socio-économiques ou climatiques existantes.
Quels apports de la Déclaration ?
Le rôle des Etats
Toutes les normes et les politiques qui empêchent les paysans d’utiliser et de faire circuler leurs semences sont à présent en contradiction avec l’article 19 de la Déclaration, et tout ce qui concerne le travail des semences par les paysans est maintenant un droit qui leur est reconnu. « Ce qui auparavant était une évidence, avant d’être accaparé et interdit au profit de semencier·ères privé·es, redevient une prérogative des paysan·nes. Ce droit permet de sortir de la logique d’appropriation privée qui est aujourd’hui dominante » (Fiche de formation n.3 du CETIM).
Le droit ainsi reconnu aux paysans de choisir leurs semences est une immense avancée, puisque cela remet en cause, à la fois la mainmise des grandes entreprises transnationales de l’agro-industrie sur la paysannerie, mais aussi le principe des catalogues, de la certification et des brevets.
La Déclaration des Droits des Paysans donne obligation aux États de revoir toute la législation en matière des semences et de modifier leur réglementation pour que les pratiques paysannes redeviennent légales : tous les systèmes internationaux de propriété intellectuelle, de certification et autres, ne peuvent plus s’imposer aux paysans au détriment de leurs besoins et de la biodiversité ! Les États devraient donc promouvoir des politiques d’aide à la mise en place et à la pérennisation des systèmes semenciers paysans qui étaient dominants avant l’avènement du commerce des semences par de grandes entreprises privées.
Dans ce dispositif, les États ont un rôle fondamental pour veiller à ce que les paysans « participent activement à la définition des priorités et à la conduite de la recherche-développement, compte tenu de leur expérience » (Article 19.7). D’autre part, les États doivent veiller « à ce que les politiques concernant les semences, les lois relatives à la protection des obtentions végétales et les autres lois concernant la propriété intellectuelle, les systèmes de certification et les lois sur la commercialisation des semences respectent et prennent en compte les droits, les besoins et les réalités des paysans » (Article 19.8).
Pour pouvoir respecter le droit aux semences, les États doivent donc immanquablement revoir toute la législation en la matière. Alors que le modèle juridique dominant aujourd’hui favorise le commerce et la privatisation des semences parce qu’il est unifié par des normes internationales ensuite retranscrites dans les droits nationaux, ces lois doivent désormais être revues et modifiées pour se conformer à l’article 19 de la Déclaration afin que les pratiques paysannes redeviennent légales et qu’il soit mis fin à une logique d’appropriation privée des semences. Tous ces systèmes internationaux de propriété intellectuelle, de certification, et autres, ne peuvent plus s’imposer aux paysans au détriment de leurs besoins et de la biodiversité.
Les semences c’est CAPITAL, pas capitaliste !
Si vous souhaitez en savoir plus sur le droit l’alimentation et à la souveraineté alimentaire, vous pouvez télécharger la fiche de formation sur l’article 19, élaborée par le CETIM, en version française ou allemande ici :