Interdites en Europe depuis des décennies, des substances agrochimiques dangereuses restent présentes dans nos assiettes : un « cercle de l’empoisonnement » résultant notamment de la politique de « deux poids deux mesures » pratiquée par l’Union Européenne, qui interdit sur son territoire l’utilisation de certains produits, sans en interdire la production pour l’exportation ! Des entreprises en Europe peuvent ainsi continuer de vendre des pesticides dangereux pour les exporter vers des pays tiers. Autorisés comme résidus dans les aliments importés et vendus sur le marché européen, ces pesticides interdits continuent à se retrouver ainsi dans nos assiettes !

Selon une enquête menée par l’ONG suisse Public Eye, en 2018, les géants de l’agrochimie ont vendu dans le monde plus de 80 000 tonnes de pesticides interdits en Europe (90 % de ces produits ont été fabriqués dans des usines installées sur le continent européen), exposant les paysans du Sud à des risques sanitaires et environnementaux massifs causés par l’usage intensif de pesticides chimiques hautement toxiques.

Éthiquement, la posture de l’UE est intenable. On sait dorénavant que l’usage de pesticides chimiques de synthèse en agriculture est la source de plusieurs problèmes environnementaux, mais aussi de santé des paysans comme pour celle des consommateurs des produits agricoles issus de ces systèmes agricoles non durables.

La situation au Bénin

Etude de cas dans la vallée de l’Ouémé

En 2021, l’Association Agro-écologique d’Action Communautaire (AAGAC), un de nos partenaires au Bénin, a lancé une étude sur l’emploi des pesticides chimiques agricoles dans 4 communes de la vallée de l’Ouémé, au Sud du Bénin. L’objectif de cette étude était de comprendre et de documenter la situation face à l’utilisation des pesticides chimiques par les paysans dans la zone étudiée, de relever les lieux de provenance des produits chimiques de synthèse, la manière dont ils sont employés (sans ou avec protection du système respiratoire/peau ; leur degré de formation sur l’utilisation des pesticides en question…), ou encore la manière dont les emballages vides sont traités.

L’étude a permis de mettre en exergue une utilisation massive et hasardeuse de pesticides dans la zone étudiée. Alors qu’une large majorité des paysans (85%) ont reconnu faire usage des pesticides dans leurs exploitations, très peu sont sensibilisés ou formés sur leur bonne utilisation. Alors qu’environ la moitié des paysans de la zone ne savent ni lire, ni écrire, la quasi-totalité n’a pas reçu d’informations sur les substances actives des pesticides, ni sur leur bonne utilisation, et pas davantage sur leurs toxicités, ni sur les effets que ces produits pourraient avoir sur la santé humaine et l’environnement. En réalité, l’ensemble des personnes enquêtées a affirmé n’avoir jamais été sensibilisé sur leur utilisation ni sur la gestion des emballages vides.

Très peu d’enquêtés ont affirmé porter un accoutrement de protection (port de cache-nez et des tenues spécifiques) pendant l’application des pesticides sur leurs champs, alors que la grande majorité ne prend pas de dispositions particulières pour se protéger. En ce qui concerne les dispositions sécuritaires prises après utilisation des produits, très peu de paysans prennent des précautions particulières après utilisation des produits, et souvent ces précautions se limitent au lavage des mains à l’eau et au savon juste après l’application des pesticides.

Il n’est donc pas étonnant que plusieurs paysans ont évoqué des problèmes de santé qu’ils relient à l’emploi des produits chimiques de synthèse, dont notamment des irritations du corps ou des yeux, des maux de tête, des symptômes grippaux comme le nez qui coule et/ou une toux, un goût amer dans la gorge, une fatigue extrême et des vertiges, allant jusqu’aux nausées et aux vomissements.

Les substances actives dans les produits les plus couramment utilisés sont surtout le glyphosate (classifié comme un agent « probablement cancérogène » pour les humains par l’OMS), ou encore des produits de la famille des néonicotinoïdes (qui ont des effets néfastes sur les populations des pollinisateurs), ou des organophosphorés (provoquant des dommages au cerveau chez les enfants, même à de faibles niveaux d’exposition), etc.  La majorité de ces substances et des produits usés sont des herbicides (sous-famille des pesticides) utilisés notamment pour faciliter la régulation des plantes compétitrices. Le manque de main d’œuvre ne laisse souvent que peu de choix aux producteurs qui se voient contraints de passer par cette étape.

Plus de 85 % des produits recensés sont d’ailleurs non homologués et fournis à 80% par des distributeurs informels. L’utilisation de tels produits met particulièrement en danger les paysans et les personnes de leur environnement proche, car les composants et leurs concentrations peuvent être faux ou mal indiqués, ce qui rend leurs effets et leur toxicité imprévisibles.

Conséquences des pesticides

Sur notre santé et sur l’environnement

Les études scientifiques s’accumulent pour dénoncer les dommages des pesticides. Tout d’abord, ils menacent la santé humaine et certains, comme les néonicotinoïdes sont des perturbateurs endocriniens potentiels soupçonnés de causer des cancers. D’ailleurs, les chercheurs estiment qu’environ 385 millions de cas d’intoxications aiguës non intentionnelles se produisent chaque année dans le monde, avec environ 11 000 décès. Sur la base d’une population agricole mondiale d’environ 860 millions de personnes, cela signifie qu’environ 44 % des agriculteurs sont empoisonnés par les pesticides chaque année. Le Brésil connait une situation particulièrement critique en raison des monocultures de soja destinés en grande partie à l’alimentation du bétail européen : on pourra voir le documentaire Pesticides : l’hypocrisie européenne, programmé durant l’été sur la chaine Arte et réalisé par Stenka Quillet, invitée au Luxembourg par SOS Faim en avril dernier.

Au-delà de l’impact individuel sur notre santé, les pesticides polluent aussi notre environnement. Ainsi, par le biais de l’infiltration avec la pluie, les pesticides passent des terres cultivées jusqu’aux eaux souterraines et contaminent ainsi les eaux et les sols. Au Luxembourg, par exemple, 2/3 des eaux souterraines sont polluées, notamment par la présence de nitrates et de pesticides. De surcroit, une mauvaise gestion des déchets de pesticides est également une source de contamination des sols. Cette contamination affaiblit ou tue la microflore du sol et affecte ainsi la fertilité des sols et sur le long terme peut avoir des conséquences néfastes sur les rendements.

De nombreuses études pointent également le rôle des pesticides dans le déclin des populations d’insectes, notamment des pollinisateurs, affectant en cascade les populations d’oiseaux, de poissons et d’amphibiens et au bout du compte, toute la biodiversité et ses services écosystémiques qui sont indispensables à l’agriculture. Or, sans agriculture, pas de nourriture et sans nourriture, pas de vie ! Il est donc évident que le droit à un environnement sain est une question primordiale, non seulement pour la survie des paysans, mais aussi pour garantir notre droit à tous à une alimentation suffisante et adéquate.

Le droit à un environnement sain

Les apports de la Déclaration sur les droits des paysan·nes et des autres personnes travaillant dans les zones rurales

Au moment de l’adoption de la Déclaration sur les droits des paysan·nes et des autres personnes travaillant dans les zones rurales (DDP) en 2018, le droit à un environnement sain, contrairement à la majorité des autres droits contenus dans la déclaration, n’était pas encore explicitement reconnu dans des conventions internationales protégeant les droits humains. Le fait d’être ainsi reconnu a donc constitué une avancée pour le droit international.

Aujourd’hui, il est largement admis que la protection de l’environnement est une condition préalable à la mise en œuvre des droits humains, et c’est ainsi qu’en juillet 2022, le droit à un environnement propre, sain et durable a été reconnu comme un droit humain par l’Assemblée générale des Nations Unies.

Comme les paysans et les travailleurs des zones rurales ont un lien d’interdépendance avec leur environnement, du point de vue de la production, mais aussi pour leur lieu de vie, ce droit constitue une condition indispensable à leur travail et à leur existence.

Le droit à un environnement sain, tel que décrit dans l’article 18 de la DDP, reprend les standards internationaux quant à la définition des attributs du droit à l’environnement : propre, sûr et sain. Donc un environnement qui ne présente pas de risque pour les populations qui y vivent et permet une vie digne. Cela implique notamment l’absence de pollution de l’air, des cours d’eau et des sols, ainsi que l’absence de catastrophes naturelles évitables et la protection face aux risques de catastrophes industrielles et sanitaires.

« Pour qu’un environnement soit préservé, il doit pouvoir continuer à poursuivre ses cycles naturels. Pour qu’il soit protégé, aucune interférence extérieure ne doit l’empêcher de se perpétuer. Ce travail de préservation et de protection est à la charge de l’État, mais également des paysan·nes et des travailleur·euses des zones rurales, car ces dernier·ères sont les premier·ères concerné·es »

(Fiche de Formation sur les droits des paysan·nes élaborée par le CETIM).

Les obligations des Etats

Garants du respect des droits des paysans

La DDP contient des droits pour les populations rurales, mais également des obligations pour les États, qui doivent être les garants de la protection de ces droits. Ainsi, les politiques environnementales des États doivent inclure la préservation des capacités productives de la terre et des ressources naturelles. En ce sens les pratiques agricoles exerçant une pression trop forte sur l’environnement, comme les monocultures et l’usage intensif de produits chimiques, doivent être stoppées.

Au-delà des obligations de préservation, les États doivent également protéger les paysans « contre les atteintes de la part d’acteurs non étatiques […] » (Art. 18. 5 de la DDP). La majeure partie de l’emprise sur l’environnement vient en effet d’acteurs privés, comme les industries déversant des matières polluantes, des promoteurs immobiliers bétonnant des terres agricoles ou des zones naturelles, mais aussi des exploitations industrielles utilisant des pesticides et autres intrants chimiques risquant de porter atteinte à l’environnement et aux ressources des petits producteurs. Ces derniers, en détruisant l’environnement, violent le droit des paysans et des autres travailleurs des zones rurales. Les États ont donc l’obligation de mettre fin à cet état des choses et d’agir, afin de l’éviter. Cela passe notamment par l’application, la promotion et l’élaboration de lois et de cadres réglementaires solides pour protéger l’environnement et les droits des paysans.

Si vous souhaitez en savoir plus sur le droit à un environnement sain et les dispositions de cet article, vous pouvez télécharger les fiches de formations, élaborées par le CETIM, en version française ou allemande ici :