L’article 15 de la Déclaration des Droits des Paysans spécifie le droit des paysans  d’être à l’abri de la faim et leur droit de définir leur propre système alimentaire et agricole.

Dans notre monde globalisé, nous sommes de plus en plus reliés les uns aux autres. Certains d’entre nous sont plus vulnérables à cause de leur situation socio-économique ou de leur lieu de vie, mais en réalité nous sommes tous fragiles. Si ceux qui nous nourrissent souffrent de faim, c’est le droit à l’alimentation de tous qui se trouve menacé !

Le Paradoxe de la Faim

Les dérives du système agro-industriel

Alors que la majorité de nos aliments (environ 70%) sont produits par des petits producteurs, 80% des personnes qui ont faim dans le monde sont des agriculteurs, des éleveurs ou des pêcheurs, ainsi que leurs familles. C’est ce qu’on appelle le paradoxe de la faim : produire de la nourriture et ne pas pouvoir se nourrir suffisamment.

Il n’est dès lors pas étonnant que le droit à une alimentation suffisante soit un droit explicitement repris dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans. Mais comment est-ce possible que ceux qui nous nourrissent soient les premiers concernés par la faim ?

Si l’on s’en tient au constat que la faim touche en majorité des familles rurales, on peut penser   que résoudre la faim dans le monde doit passer par une production plus intense.  Pourtant, voici plus de 30 ans que la disponibilité globale de nourriture par habitant excède les besoins… et que la faim ne recule pas, car la faim est avant tout un phénomène qui touche les plus vulnérables.

Durant ces trente années, l’agriculture, devenue de plus en plus industrielle, s’est de moins en moins concentrée sur la production de denrées alimentaires pour nourrir les Hommes et de plus en plus sur la production d’aliments pour animaux, de biocarburants et d’ingrédients destinés aux produits alimentaires transformés par le secteur de l’industrie (huile de palme et soja). Alors que l’ offre mondiale de légumineuses, de fruits et de légumes  est insuffisante, l’élevage est de plus en plus omniprésent et environ 60 % des terres agricoles sont utilisées pour le pâturage et la nourriture animale.

La prise de pouvoir du secteur industriel sur la production alimentaire s’est accompagnée de diverses dérives : les pays à revenus élevés et intermédiaires ont dégagé des subsides publics pour  soutenir la production agricole dans leur pays mais, ce faisant, ils ont encouragé la détention des surfaces agricoles par un nombre décroissant d’agriculteurs et favorisé, comme dans le cas de la PAC,  les producteurs céréaliers et laitiers et d’autres aliments d’origine animale riches en protéines,  . Le riz, le sucre et les différents types de viande sont les aliments dont la production est la plus encouragée dans le monde, tandis que les fruits et les légumes sont globalement moins soutenus. Une gouvernance efficace sera dès lors décisive pour veiller à ce que ces subventions profitent au bout du compte aux communautés paysannes et aux familles paysannes les plus démunies et non aux acteurs majeurs du secteur. Car même face aux crises actuelles liées à la sécurité alimentaire, aux conflits et au changement climatique, on constate que les communautés paysannes et autochtones ont développé des systèmes alimentaires incroyablement résilients. Leurs réussites face aux crises multiples démontrent des modèles agricoles équitables qui résistent aux chocs, protègent la biodiversité, atténuent le changement climatique et luttent contre la faim.

Le droit à l’alimentation

Produire pour nourrir sa communauté

Le droit à l’alimentation est déjà inclus dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ratifié par une vaste majorité d’États.

Le premier paragraphe de l’article 15 de la Déclaration des droits des paysans réitère ce droit et précise que le droit à l’alimentation est plus qu’un droit à la survie, mais le droit de chacun de pouvoir vivre sans être inquiété par la faim ou par une mauvaise alimentation ; il s’agit de garantir le droit de chaque être humain à se nourrir dans la dignité, ce qui comprend aussi la possibilité de produire sa propre alimentation et englobe donc le droit à la terre, aux semences, à l’eau et aux autres ressources naturelles.

Il s’agit là d’un renforcement du droit à l’alimentation qui permet de ne pas le réduire   uniquement à une aide économique ni à des dons en nature ! Le but n’est pas seulement de permettre aux paysans d’acheter de la nourriture ou d’avoir accès à une aide alimentaire, mais surtout de leur permettre de produire pour se nourrir et nourrir leur communauté. « L’inclusion du droit de produire dans le droit à l’alimentation est défendue par la Rapporteuse et les Rapporteurs spéciaux·ale successifs·ive de l’ONU sur le droit à l’alimentation depuis de nombreuses années. Le fait qu’il soit consacré dans la Déclaration est une avancée juridique indéniable » (fiche de formation du CETIM). Le but n’est pas que chaque ferme soit auto-suffisante, car ce n’est pas toujours possible, mais bien de privilégier une alimentation produite dans la communauté et à proximité.

Souveraineté alimentaire

Un droit collectif

Le droit à l’alimentation, la sécurité et la qualité alimentaires ne seront jamais effectifs sans la participation des paysans et des travailleurs ruraux dans les prises de décisions et les définitions de leurs propres modèles de production.

La souveraineté alimentaire (voir l’encadré), est un concept politique concret, élaboré et promu dès 1996 d’abord par La Vía Campesina puis partagé et approprié par d’autres mouvements sociaux pour réclamer la reprise de contrôle des systèmes agro-alimentaires par les paysans.

« La souveraineté alimentaire est le droit des peuples à une alimentation saine et culturellement appropriée produite par des méthodes écologiquement rationnelles et durables, ainsi que leur droit de définir leurs propres systèmes alimentaires et agricoles. Elle donne la priorité aux économies et aux marchés locaux et nationaux et renforce l’agriculture dirigée par les paysans et les agriculteurs familiaux, la pêche artisanale, le pâturage dirigé par les pasteurs et la production, la distribution et la consommation alimentaires basées sur la durabilité environnementale, sociale et économique. La souveraineté alimentaire implique par ailleurs de nouvelles relations sociales sans oppression ni inégalité entre les hommes et les femmes, les peuples, les groupes raciaux, les classes sociales et les générations. »

Déclaration de Nyéléni, adoptée en 2007 par La Vía Campesina

La souveraineté alimentaire implique donc le droit pour les paysans de décider ce qu’ils et elles mangent et produisent, la manière de produire et la définition des quantités. Or, la souveraineté alimentaire est tout sauf un droit individualiste, où chacun décide pour soi sans se soucier des autres, il est avant tout un droit politique collectif. C’est le droit pour les paysans, collectivement et de concert, de penser, d’organiser et de mettre en place les systèmes alimentaires et agricoles de leur choix. Il englobe tous les niveaux de décisions concernant l’agriculture et l’alimentation (réforme agraire, gestion des ressources naturelles, structures commerciales équitables, sans dumping vis-à-vis des pays tiers, etc.), afin que ces questions reviennent au centre du débat démocratique. Les défis de la faim, du changement climatique et de la prospérité sont en effet des enjeux communs qui appellent des réponses concertées, co-construites et systémiques à de multiples échelles.

Le concept de la souveraineté alimentaire interroge les cadres normatifs et commerciaux qui avaient conduit à la dépolitisation de l’enjeu alimentaire par le rôle prépondérant donné au marché, et marque une opposition au fonctionnement actuel de la mondialisation et des traités de libre-échange, ainsi qu’un souhait de rompre avec des politiques agricoles et commerciales jugées néfastes pour le revenu des producteurs, la sécurité alimentaire et l’environnement.

Avec la pandémie mondiale de la COVID-19 et l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la souveraineté alimentaire est revenue sur le devant de la scène mais son utilisation tous azimuts témoigne d’un dévoiement du sens que lui avait donné les mouvements sociaux.

Les obligations des Etats

Assurer la souveraineté alimentaire

La souveraineté alimentaire renvoie également au rôle de l’Etat. Pour assurer les droits à l’alimentation et à la souveraineté alimentaire, les États doivent adopter de nouvelles politiques publiques, qui doivent être élaborées en concertation avec les producteurs agricoles. Ce partenariat est la clé de voûte du droit à la souveraineté alimentaire, qui repose justement sur l’implication des paysans dans la définition des systèmes alimentaires et agricoles. « Ce partenariat ne doit pas être une simple consultation où l’avis des concerné·es est seulement noté pour être mieux écarté. Au contraire, ils et elles doivent avoir un véritable pouvoir de proposition et de décision » (Fiche de formation CETIM).

Dans beaucoup de pays, l’application du droit à l’alimentation et à la souveraineté alimentaire nécessite de nouvelles politiques et de nouvelles lois, afin de mettre en cohérence les normes et les lois existantes avec les droits des paysans : ce sont toujours les droits contenus dans la Déclaration qui doivent primer.

Et ainsi le paragraphe 5 de l’article 15 spécifie que les « États établiront des mécanismes destinés à assurer la cohérence de leurs politiques agricoles, économiques, sociales et culturelles et relatives au développement avec la réalisation des droits énoncés dans la présente Déclaration. »

Avec la souveraineté alimentaire, c’est de fait tout le système alimentaire et agricole qu’il faut repenser. D’importantes mutations de l’agriculture mondiale sont nécessaires pour produire suffisamment d’aliments sains pour tous, tout en préservant la qualité des terres, de l’air et de l’eau et en sauvegardant la biodiversité. Les pratiques agroécologiques, constituent une voie prometteuse.  De nombreuses preuves qualitatives et quantitatives montrent en effet leur efficacité sur les plans agricole et environnemental et confirment leur capacité à répondre aux impératifs de production mondiale sur le long terme. Les pratiques comme l’agroforesterie, les cultures associées et la rotation des cultures permettent d’augmenter significativement la production, tout en préservant et en favorisant la biodiversité et en assurant une harmonie avec les services écosystémiques fournis par leur environnement. Ces preuves permettent de fonder de nouvelles politiques publiques à mettre en œuvre à des échelles locales et mondiales. La réalisation de telles politiques est cruciale dans les régions les plus vulnérables au changement climatique et dont les besoins alimentaires sont en augmentation, comme en Afrique subsaharienne.

Facilitator of Change

L’expérience de notre partenaire en Ethiopie

Partenaire de SOS Faim depuis 2003, Facilitator for Change (FC) est une ONG éthiopienne qui promeut un développement durable en vue d’améliorer les conditions de vie des paysans tout en promouvant une agriculture respectueuse de l’environnement.

Dans ce but, FC forme les agriculteurs à des pratiques agroécologiques comme le traitement organique des sols, la rotation des cultures, la multiplication de semences locales paysannes, la préparation et l’utilisation de compost, l’association élevage-cultures, etc.

Un axe important du programme est la diversification des cultures par l’introduction de légumineuses comme le soja ou les haricots verts dans les systèmes de production pour améliorer la fertilité du sol. Cette diversification des cultures n’a pas seulement un impact positif sur l’environnement, mais représente aussi un avantage économique pour les producteurs qui dépendent moins des cultures d’exportation gourmandes en engrais chimiques onéreux. En plus, ces légumineuses ont une haute valeur nutritionnelle ce qui est bénéfique pour la sécurité alimentaire. Le surplus est vendu sur le marché local ce qui procure un revenu direct complémentaire à l’agriculteur et à sa famille.

Les moyens de subsistance des communautés sont améliorés et leur résilience au changement climatique et à ses conséquences est renforcée. Cette expérience montre bien que le développement agricole et le respect de l’environnement sont tout à fait conciliables dans la lutte contre la faim, car non seulement les agriculteurs formés ont pu améliorer leur productivité, mais la meilleure gestion des ressources leur a permis aussi d’améliorer la qualité de leurs sols et ainsi de lutter contre leur érosion.

Si vous souhaitez en savoir plus sur le droit l’alimentation et à la souveraineté alimentaire, vous pouvez télécharger la fiche de formation sur l’article 15, élaborée par le CETIM, ici :