Retour sur la Table Ronde sur le lien entre les pesticides et le droit à un environnement sain

Le 27 septembre dernier, SOS Faim et le Mouvement Écologique, en partenariat avec les Amis de la Déclaration des Droits des Paysans du Luxembourg et Meng Landwirtschaft, ont organisé une table ronde sur la thématique des pesticides en lien avec le droit à un environnement sain.

Synthèse des débats

En Europe, des entreprises continuent à profiter de la faiblesse des lois relatives à la santé humaine et à l’environnement dans de nombreux pays pour vendre des pesticides considérés comme trop dangereux pour être utilisés en Europe. Autorisés comme résidus dans les aliments importés et vendus sur le marché européen, ces pesticides interdits continuent à se retrouver ensuite dans nos assiettes ! Alors que les impacts de l’agrochimie sur la santé et l’environnement sont de mieux en mieux connus, la posture de l’UE devient de plus en plus intenable. Pour mieux comprendre l’ampleur de ce phénomène, SOS Faim a reçu trois invités pour en discuter et comprendre la situation actuelle et les alternatives existantes aux produits chimiques de synthèse.

Pour ouvrir les débats, Roger Dammé, secrétaire du Mouvement Ecologique et apiculteur bio, a dressé un tableau préoccupant de la situation de la contamination au Luxembourg, non sans regretter le manque de transparence dans les chiffres publiés au niveau luxembourgeois. L’enjeu est double : pouvoir se faire une idée sur l’état des ventes de pesticides et de leur utilisation, mais aussi de l’état de la contamination au Luxembourg. Un autre point de critique, c’est que bien qu’il existe des limites assez strictes en ce qui concerne les traces de résidus de pesticides selon les substances actives – au-delà desquelles ces aliments ne peuvent plus être commercialisés sur le marché luxembourgeois – il est évident que la plupart des aliments contiennent des traces de plusieurs pesticides simultanément.

« On parle dans ce cas de cocktails de pesticides, dont les effets sur la santé humaine ne sont pas connus, mais pour lesquels ils n’existe jusqu’à présent aucune réglementation », nous explique Roger Dammé. Et ceci vaut autant pour les pesticides utilisés en Europe que pour ceux qui sont interdits ici et importés depuis des pays tiers.

Etat de fait que Morgane Ody, coordinatrice générale du plus grand mouvement paysan au monde, La Via Campesina, déplore : « C’est tout à fait hypocrite de produire des pesticides interdits en Europe pour les exporter au Sud, où ils vont créer les mêmes problèmes sanitaires et environnementaux. Et donc il faut être un tout petit peu cohérent et non seulement interdire la consommation de ces pesticides dangereux en Europe, mais interdire leur production et l’exportation aussi ».

Un sentiment que Pascal Gbenou, fondateur de la Ferme-école SAIN au Bénin et partenaire de SOS Faim, partage également. « Ce que je peux vous dire, c’est qu’on trouve des pesticides interdits en Europe qui sont vendus en Afrique. On interdit ces produits ici, mais on les envoie au Sud, c’est bien grave ! On interdit ça en Europe parce que ça va agir négativement sur des humains, mais on a aussi des humains en Afrique. Si nous ne faisons pas attention, nous finirons par être totalement envahis par les produits chimiques de synthèse ».

En effet, d’après une récente étude menée par notre partenaire dans quatre communes de la vallée de l’Ouémé au Sud du Bénin, plus de 80% des paysans utilisent régulièrement des pesticides chimiques pour leurs cultures. La majorité des produits utilisés sont des herbicides (sous-famille des pesticides) qui servent à faciliter la régulation des plantes compétitrices des cultures. C’est le manque de main d’œuvre qui ne laisse souvent que peu de choix aux producteurs qui se voient contraints de passer par cette étape. A ce sujet, Pascal Gbenou souligne l’importance de revaloriser le métier de paysan pour faire revenir aux champs une main d’œuvre jeune, attirée trop souvent par le mirage de la vie urbaine. L’enjeu est d’autant plus crucial que l’étude a montré que la majorité des paysans utilisaient ces produits chimiques de synthèse sans prendre la moindre précaution et sans être même avertis des dangers de ces produits !

Concernant la circulation des pesticides, les intervenants ont souligné la faiblesse et l’incohérence de la réglementation européenne qui permet en effet aux plus grands producteurs de produits chimiques de synthèses (Bayer, BASF Syngenta et CORTEVA), de continuer à s’enrichir en produisant et en vendant des produits classifiés comme hautement dangereux pour la santé et l’environnement par l’OMS et la FAO (classification HHP, Highly Hazardous Pesticides). En 2018, ces géants de l’agrochimie ont vendu dans le monde plus de 80 000 tonnes de pesticides interdits en Europe, et 90 % de ces produits ont été fabriqués dans des usines installées sur le continent européen. « Les entreprises veulent gagner de l’argent coûte que coûte, même si cela signifie de mettre en péril la vie des gens. Si nous ne faisions pas quelque chose, nous allons vers un suicide collectif » alerte Pascal Gbenou, « l’Union européenne se dit respectueuse des droits de l’homme, mais est-ce que les droits de l’homme sont véritablement respectés si ces produits nocifs sont exportés vers des pays tiers alors que les êtres humains ont tous droit à environnement sain ? » s’étonne-t-il.

Quelles alternatives existent aux pesticides et comment peut-on sortir de ce cercle de l’empoisonnement ?

Au niveau de la Ferme-école SAIN, qui fonctionne sur des principes agroécologiques, en se passant notamment de tout apport de pesticides chimiques, un certain nombre de bio pesticides sont en train d’être mis au point en  utilisant des techniques facilement reproductibles par d’autres producteurs.

« On montre aux gens qu’il y a d’autres possibilités, parce qu’il y a des gens qui sont en effet intéressés mais qui pensent qu’il n’existe pas d’autres solutions que le recours aux pesticides chimiques de synthèse », explique Pascal Gbenou. Comme le montre l’exemple de la Ferme-école SAIN, des alternatives existent et on peut très bien produire tout en se passant des intrants chimiques, mais cela exige un partage de connaissances et de la formation.

« L’agrochimie sert essentiellement à se passer de paysans, mais la question est de savoir si on manque vraiment de gens pour travailler la terre ? Ou est-ce qu’on manque plutôt de ressources comme l’eau, la terre, le carburant, l’énergie… ? Les modèles paysans et agroécologiques sont, en fait hyper efficaces pour optimiser la gestion des ressources naturelles » martèle Morgane Ody, qui est elle-même maraichère bio en Bretagne. « Il est donc indispensable de se demander : à quoi servent les pesticides ? Il est possible de produire sans pesticides, ce n’est pas un obstacle technique. L’obstacle est avant tout économique, les pesticides permettent de produire le moins cher possible, avec le moins de main d’œuvre possible, mais avec énormément d’externalités négatives pour la société, la santé et l’environnement ».

Ce qu’il faut donc, en parallèle au développement de solutions alternatives sur base organiques, c’est une réelle volonté politique pour, non seulement, favoriser un changement du modèle agricole en promouvant et en appuyant des alternatives, mais aussi pour développer les recherches sur les pratiques agroécologiques. « Il faut un plaidoyer à tous les niveaux ! Il faut développer des complicités positives avec les responsables et leur faire comprendre que nous devons atteindre l’autre rive ensemble, ou bien nous nous noyons tous » avance Pascal Gbenou, tout en complétant,« or, ce qui est important, c’est qu’on constate une réelle volonté des acteurs du Sud et du Nord de travailler ensemble dans ce sens afin de réaliser un travail de plaidoyer auprès d’un côté, des décideurs en Afrique pour qu’ils adoptent des meilleurs réflexes pour la protection de leurs citoyens, mais aussi en Europe pour dire que ce qui est interdit ici, devrait l’être partout ».

La Déclaration des Droits des Paysans comme outil de lutte !

La Déclarationa a vocation à servir de guide pour orienter la transformation de nos systèmes agro-alimentaires : « Cette Déclaration est extrêmement importante. Il faut donc qu’elle ne reste pas juste une Déclaration sur le papier, mais qu’on aille vers son application réelle face au contexte actuel de crise alimentaire, de crise climatique, de crise de la biodiversité et de crise géopolitique qui ont des impacts très importants sur les populations dans le monde entier » affirme Morgane Ody, qui, avec le mouvement international de la Via Campesina, travaille pour le respect des droits des paysans, car ce sont eux qui nourrissent le monde. « Parfois depuis nos pays riches, on pense que c’est l’agro-industrie qui produit l’essentiel de notre alimentation, mais, y compris ici au Nord, ce n’est pas le cas. C’est les paysannes et les paysans, l’agriculture familiale, qui produisent la majorité de notre alimentation. Les modes de production paysans sont extrêmement efficaces, mais leur efficacité se mesure différemment que celle de l’agro-industrie » explique-t-elle, « l’agro-industrie est efficace, dans le sens où elle produit avec très peu de travailleurs, mais avec beaucoup de machines et en s’appuyant fortement sur les produits chimiques ». C’est uniquement dans un monde qui fait primer l’économie sur le Vivant que ces pratiques agricoles apparaissent comme efficaces ! C’est en vertu de ce modèle obsolète que l’agro-industrie a pu s’imposer en produisant le moins cher possible mais avec des « externalités négatives » en matière de santé, d’environnement et de société très importantes qui ne se sont pas reflétées dans les prix que les consommateurs paient au supermarché. Il est donc essentiel de lier la question de l’utilisation des pesticides à la question économique, et se poser la question de ce qu’on souhaite collectivement : « Est-ce qu’on souhaite produire le moins cher possible, avec le moins de main d’œuvre possible et avec énormément d’externalités négatives, qui coûtent en final très cher à la société, ou est-ce qu’on souhaite produire mieux, payer les vrais coûts qui représentent une production de qualité aux agriculteurs et du coup s’assurer que l’accès à l’alimentation soit possible, notamment en défendant les populations les plus vulnérables qui ont moins accès à l’alimentation ? On nous a toujours dit que produire le moins cher possible, c’est comme cela qu’on va nourrir les personnes dans tous les pays, mais on voit bien que c’est faux ! Et cela marche encore moins pour assurer un accès un une alimentation de qualité. Il faut donc changer de modèle agricole et tous les changements qu’on souhaite sont contenus dans la Déclaration des Droits des Paysans, comme par exemple le droit des paysans à travailler dans des conditions sûres et saines ou leur droit à un environnement sain, mais également les devoirs des Etats pour garantir ses droits ».

Le Luxembourg fait partie des Etats qui ont voté pour l’adoption de cette Déclaration en 2018 (il est même le seul pays de l’Union Européenne avec le Portugal à l’avoir soutenue) et a joué un rôle important , notamment à travers l’action de son ancien Ambassadeur auprès des Nations Unies, Jean Feyder. Pour faire de cette Déclaration une réalité, le travail se poursuit avec l’objectif d’obtenir des procédures spéciales, comme la création d’un rapporteur spécial sur les droits des paysans, pour garantir l’application et le respect de cette Déclaration.

« Le processus est en ce moment porté par la Bolivie au sein du Conseil des Droits de l’Homme, mais on espère très fortement que le Luxembourg sera moteur pour la poursuite de ce travail, car il y a une solution à construire ensemble entre les pays du Sud et ceux du Nord, une solution basée sur les droits des paysans et sur l’agroécologie. C’est notre responsabilité commune ! » conclut Morgane Ody.